© Tony Trichanh
Dans le cadre de France Design Week 2022, une série d’interviews a été réalisée sur le Hub du design afin de mettre en lumière un champ du design : le design des politiques publiques. Face à de nouveaux enjeux de société et l’importance d’y trouver des solutions, nous vous invitons à découvrir plusieurs acteurs du design des politiques publiques qui ont pour vocation d’améliorer nos vies quotidiennes sur le long terme à partir d’un travail au sein d’une collectivité, d’une école ou encore d’une association.
Silvia Dore est une designer aux multiples casquettes professionnelles : présidente de l’Alliance France Design, co-fondatrice du studio de création Stereo Buro et enseignante dans plusieurs écoles de design française, elle aborde plus en détails la formation « Design social et éthique» du Campus Fonderie de l’Image qui accueillera sa première promotion d’étudiants à la rentrée 2022.
Quelle est votre formation ? Comment s’est dessiné votre parcours professionnel ?
Silvia Dore : Ma formation est pluridisciplinaire, elle va du design produit au design d’espace en passant par l’architecture. J’aime le lien à l’objet, à l’espace et aux questions d’orientations dans celui-ci. J’ai intégré l’Ecole des Arts Décoratifs à Strasbourg en communication graphique pour compléter mon intérêt avec un nouvel objet : le signe graphique en relation à l’espace. J’ai alors monté un collectif réunissant des architectes et des scénographes : nous travaillions avec la ville de Strasbourg sur des évènements qui mêlait le son et les arts visuels. J’ai par la suite fondé mon studio de création avec Diane Boivin, Stéréo Buro, à Paris et maintenant à Nantes. Nos projets déploient essentiellement la question du signe et de la typographie identitaire dans les milieux institutionnels et culturels.
En parallèle, j’ai la volonté de travailler avec les territoires et les habitants, et je collabore avec d’autres designers sur des projets plus engagés dans l’espace public qui touchent aux questions d’identité, d’habitat etc. Intéressée par la recherche en design, j’ai également repris des études dans le cadre d’un Master Recherche à l’Université de Strasbourg, et un projet de recherche – création à l’Ecole des Arts Décoratifs à Paris auprès du groupe Reflective Interaction. J’enseigne depuis sept ans dans différentes écoles et selon divers modes d’apprentissage : au Campus Fonderie de l’Image (école en alternance) à l’Université de Strasbourg et dans des écoles d’art telles que l’Ecole Supérieure d’Art et de Communication de Cambrai ou encore l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle (mastère formation continue « Innovation by design »). À la suite de ces années d’enseignement, il m’a été proposé d’ouvrir un nouveau programme de mastère au Campus Fonderie de l’Image : le mastère « Design social et éthique ». Enfin, portée par des engagements professionnels, je suis également présidente du syndicat national l’Alliance France Design (AFD).
Quelles ont été vos motivations à rejoindre l’AFD ? Quelles sont les principales actions menées au sein du Syndicat ?
S.D : Je fais partie du syndicat national depuis quatre ans. Je me suis approchée de l’AFD tout d’abord en tant que designer graphique en quête de méthodes déontologiques et d’un accompagnement sur le plan juridique. J’ai eu très vite envie de m’engager dans ce bureau collectif et travailler sur ces questions de marchés publics éthiques. En 2021, j’ai initié un projet d’exposition et de rencontres interdisciplinaires nommé “Point Commun”. Avec Romain Diant, également membre du bureau de l’AFD, nous avons mis en lien des chercheurs, des designers pluridisciplinaires pour échanger sur des notions sociétales telles que le care, le commun, les territoires et les ressources. À la suite de cet évènement, j’ai eu l’opportunité de reprendre la présidence de l’AFD en novembre dernier.
Composée de praticiens de tout horizon, des enseignants, des chercheurs représentant diverses régions françaises, l’AFD propose donc un suivi juridique, porte la parole des designers et les sensibilise. L’AFD est présente auprès des écoles de design avec des ateliers et des projets, que cela concerne des appels d’offres ou la structuration d’une entreprise pour un designer. Nous avons également mis en place une affiliation gratuite pour les étudiants : en s’affiliant à l’AFD, nous signons le code déontologique du métier, et avons en échange accès à des ressources (modèles de devis, factures…).
Vous êtes enseignante au Campus Fonderie de l’Image situé à Bagnolet. Quels types d’enseignements y sont dispensés ? En quoi consiste le nouveau mastère « Design social et éthique » ?
S.D : J’ai d’abord enseigné au Campus Fonderie de l’Image en tant que formatrice dans un des trois mastères du campus « Direction de création en design graphique ». J’ai très vite voulu développer une formation bac +5 qui poursuivrait et consoliderait la dimension sociale du design avec des professionnels, dimension alors abordée en Bachelor design graphique éco-responsable. Nouvellement créé, le mastère « Design social et éthique » explore en effet le design dans sa dimension sociale, il en renouvelle ses codes, s’inscrit dans un graphisme résolument contemporain et ouvre à des formes collectives novatrices propulsant le design sur des terrains concrets. C’est une formation qui se déroule en alternance : le cursus scolaire est professionnalisant, et les étudiants sont au cœur des entreprises et des structures qui les accueillent. Cette année, la responsabilité du rôle de référente m’a été confiée. J’ai travaillé en équipe avec le designer Jean-Marc Bretegnier, fil rouge de la formation et responsable du bachelor design graphique éco-responsable. Nous avons proposé dans ce programme de faire cohabiter une approche terrain et une approche de recherche pour former les étudiants de demain à des questions sociétales.
Nous avons la volonté de proposer une équipe jeune et interdisciplinaire qui réunit notamment des designers graphiques, d’espace et des scénographes. Par exemple, Eddy Terki aborde la question de la typographie dans l’espace, Grégoire Romanet, la scénographie et Tecla Raynaud la question de la cocréation et de la participation. L’équipe comprend aussi des architectes et urbanistes, des chercheurs et chercheuses comme Mélusine Pagnier, architecte doctorante au laboratoire du LACTH ou Lauren Tortil, artiste sonore et chercheuse doctorante au sein de l’EUR CAPS et de l’Université Rennes 2, et encore Pauline Escot, designer graphique et chercheuse en histoire et théorie du design graphique à l’Université Paris 8.Le programme du mastère réunit des cours et des moments d’immersions où l’approche théorique est liée à la pratique par le « faire ». Il y aura par exemple un projet de cartographie sur les villes de Bagnolet et Montreuil : les étudiants travailleront sur des questions sociologiques tout en étant accompagnés par des architectes et urbanistes pour représenter ces questions avec des outils de design graphique. L’idée est de penser un ensemble pour pouvoir outiller les designers et leur donner la possibilité ensuite de réfléchir à des transformations sociétales in situ avec les collectivités territoriales, des associations, des institutions ou même en indépendant.
Quels sont les principaux objectifs de la formation ?
S.D : La formation a pour objectif d’inscrire le design graphique en tant qu’outil novateur dans un monde en mouvement et fait de bouleversements afin d’y proposer des solutions tangibles via un processus de création renouvelé : je l’appelle le lien. Cette formation permet d’acquérir des compétences techniques, expérimenter sur des terrains novateurs, mais aussi d’apprendre à lire des situations, des contextes. Il y aura un moment fort de workshop dans la Drôme : la promotion fera un atelier pour apprendre à faire une enquête graphique de terrain pendant une semaine avec des intervenants et des chercheurs. L’objectif est de les aider à comprendre l’environnement qui nous entoure à travers toutes ces formes d’outils à leur disposition. Les designers qui sortiront de la formation seront des créatifs, mais aussi des designers responsables qui sauront transmettre et transformer selon les différents contextes où ils évolueront.
L’ambition du mastère, et plus largement du Campus, est aussi de résonner avec l’écosystème du design et ses professionnels. Le syndicat de l’AFD interviendra notamment lors d’ateliers d’apprentissage à la structuration de la profession. Les questions éthiques, déontologiques et sociales seront plus largement abordées lors de rencontres professionnelles. Nous souhaitons également développer des projets inter-écoles et internationaux : un workshop se déroulera en collaboration avec Civic City en Italie, sur l’école du non-savoir.
Vous avez effectué des travaux de recherche sur les dispositifs graphiques relationnels. Selon vous, quel est le lien entre le graphisme et les politiques publiques ?
S.D : Dans ma recherche sur le dispositif relationnel, j’ai été amenée à penser le travail de designer graphique en lien avec la société civile et les non-designers, à comprendre comment le design graphique peut devenir un facilitateur de processus d’échanges. Pour moi, le design est fondamentalement politique puisqu’il agit pour la polis, la cité, la société dans laquelle nous vivons. Le design doit accompagner les actions des politiques publiques, pour renforcer et rendre le citoyen capable de s’approprier des questions leur concernant individuellement et collectivement. Le design a comme mission d’être au service de l’intérêt général. Il ouvre dans un processus dynamique qui doit impliquer la société civile et les pouvoirs publics dans des actions constructives faites d’écoute et de dialogue. Ce mastère donne aussi l’opportunité pour les designers d’accompagner des structures comme la Région Île-de-France à intégrer le designer dans tout le parcours projet, à en être le médiateur. Le design doit être un instrument pour améliorer l’habitabilité de nos espaces communs et de nos interactions sociales.
Le design graphique aide les politiques publiques à rendre visibles des données complexes et immatérielles grâce à la facilitation graphique lors de réunions, d’échanges, il permet d’être dans une observation active du territoire par l’enquête terrain, faite de récolte, documentation et de mises en forme spatiales par le travail de cartographie et atlas. Pour un projet de signalétique qu’une ville propose, un designer peut par exemple travailler sur la question de l’orientation jusqu'à aider à repenser ses usages, ses flux et proposer des nouvelles situations de rencontres.
Quelle est la nécessité de lier graphisme et éthique ?
S.D : L’urgence sociale est évidente sur des questions d’ordre environnemental, écologique mais aussi social. Nous savons tous maintenant que la notion d’écologie dépasse son acception environnementale pour inclure la question du vivant. On parle aujourd’hui de la social-écologie. Il faut que nous apprenions à penser d’une manière collective qui fait écho au possible partage de nos ressources à l’avenir.
Le mastère « Design social et éthique » s’effectue en alternance : quels sont les avantages de ce rythme de formation ?
S.D : Le Campus Fonderie de l’Image est la seule école à proposer ce nouveau programme pour les designers graphiques en Île-de-France. Je tiens particulièrement au dispositif d’alternance car j’ai personnellement connu le travail en entreprise couplé à des études, ce qui m’a permis d’acquérir beaucoup de compétences techniques. J’ai beaucoup d’estime pour les étudiants qui choisissent ce parcours en alternance, et qui savent gérer à la fois les processus encadrés d’une entreprise et la création à l’école. Avec ce nouveau mastère « Design social et éthique », nous souhaitons instaurer un rythme avec des moments forts en école durant deux semaines consécutives.
Aussi, l’alternance implique un apprentissage mutuel : elle permet aux étudiants d’être engagés et d’évoluer professionnellement, de manière concrète. Une fois que les étudiants ont terminé leur parcours, ils sont prêts à s’engager auprès des structures qui les ont accueillis : il s’agit d’un engagement sur le long terme. Durant la formation, les étudiants sont confrontés à des problématiques de terrain concrètes, ce qui leur permet de ne pas être « hors-sol » et de développer des projets réalisables. Les entreprises peuvent aussi créer des liens plus solides.
Vers quel type de structures professionnelles se prédestinent les étudiants du mastère ?
S.D : Principalement des organisations d’intérêt général mais aussi des agences d’urbanisme et d’architecture, qui, dans leur pratique, défendent une manière de construire autrement à partir d’enquêtes et d’immersion terrain.Aussi, les collectivités territoriales agissent sur nos usages quotidiens, le cœur de nos vies. Pour moi, une collectivité permet alors des collaborations à différentes échelles : le designer peut l’accompagner dans des projets de design graphique, de communication, pour rendre plus lisible et accessible l’information. Il peut également aider à la formalisation d’appels à projets en requestionnant les réponses et les usages de ce projet, et être au cœur du terrain. Le designer peut agir lors de toutes les phases d’un projet, de l’immersion au prototype.
Quels éléments caractérisent la formation « Design social et éthique », et la différencient d’autres formations du même ordre ?
S.D : Plusieurs formations engagées naissent pour répondre à des questions sociétales. Ici, la formation de designer est spécifique : elle concerne des designers créatifs, graphique et d’espace. Il s’agit du seul programme de mastère qui va se concentrer sur un apprentissage déontologique et éthique du métier. La formation a été pensée avec des équipes interdisciplinaires pour créer des liens entre la pratique du design et la recherche, l’urbanisme, la sociologie et l’architecture. La partie professionnalisante du mastère permet d’être dans le concret pour des transformations réelles.
Ce programme repense le format pédagogique avec de jeunes professionnels et actifs qui donnent une occasion de travailler en atelier, de manière collective. J’invite ceux qui se reconnaissent à nous rejoindre pour cette aventure, ainsi que les institutions et les structures à faire appel à nous pour que nous puissions réfléchir à des projets en collaboration, et montrer à quel point le design peut être un outil formidable de création de liens et de transformation contextuelle.
Plus d’informations sur le mastère « Design social et éthique »
[Interview réalisée en septembre 2022]