© CY école de design
Dans le cadre de France Design Week 2022, une série d’interviews a été réalisée sur le Hub du design afin de mettre en lumière un champ du design : le design des politiques publiques. Face à de nouveaux enjeux de société et l’importance d’y trouver des solutions, nous vous invitons à découvrir plusieurs acteurs du design des politiques publiques qui ont pour vocation d’améliorer nos vies quotidiennes sur le long terme à partir d’un travail au sein d’une collectivité, d’une école ou encore d’une association.
Dominique Sciamma est le créateur et le directeur de CY école de design, une école publique nouvellement créée qui a accueilli ses premiers étudiants en septembre 2021, au sein de CY Cergy Paris Université. Il est également Président de l’APCI, organisateur de France Design Week, et membre du Conseil National du design (CNDesign).
Qu’est-ce que le design pour vous ?
Dominique Sciamma : Le design est pour moi une culture, pas une discipline. Une culture qui réunit des personnalités, des talents, des savoirs différents, au service d’un même projet, qui les réunit. Le design vient du mot italien disegno : le dessin ET le dessein (l’objectif, le projet). Il est plus que jamais important de se focaliser sur le « Pourquoi » plus que sur le « Comment ». Le design est cette culture qui permet l’accomplissement de projets au service des gens, ce qui devrait tous motiver nos actions. Les designers sont ceux qui garantissent que cette culture du projet est toujours à l’œuvre. Ils induisent, partagent cette culture, et rappellent que l’on fait des choses pour les gens, et non pour la beauté d’un algorithme ou d’un business model. Il est important de partager cette culture avec tous les protagonistes d’un projet, qui ne sont pas tous des designers, mais qui participent au design, c’est à dire au dessein du projet.
Vous êtes à la tête de CY école de design, une école de Cergy Paris Université ayant ouvert ses portes en 2020. Quelle est sa vision du design et quelles disciplines y sont enseignées ?
D.S : Je fais partie du monde de l’enseignement depuis 1998. J’ai dirigé Strate Ecole de design de 2013 à 2020. La création de CY école de design répond à la nécessité d’être synchrone avec l’esprit du temps. Les écoles de design, publiques et privées, sont porteuses d’une vision du monde qui est marquée par la date de leur création. Ainsi, pour être à la hauteur des défis que nous pose le monde, particulièrement depuis la crise sanitaire, l’affirmation du risque climatique, le constat des inégalités sociales, ou encore des conflits armés, il faut se réinventer et être en capacité d’adresser tous les enjeux, qui vont de la matière à la décision.
CY école de design forme ces designers globaux, attentifs à tous ces enjeux complexes, et qui savent collaborer. Le design s’intéresse à créer des conditions d’expériences de vie réussies, pour tous et chacun, et ces expériences sont toujours de nature systémique et complexe. Le design nécessite de s’orienter vers les gens. Collaboratif, il implique toutes avec les parties prenantes : les habitants, les intermédiaires, les partenaires. Cette articulation des savoirs augmente les chances de résolution des problèmes, les chances d’apporter des solutions aux défis sociaux et environnementaux.
Les enseignements de CY école de design réunissent les fondamentaux du design: la culture générale, le dessin, la matérialité, les sciences humaines, beaucoup de projets avec des partenaires, la compréhension des organisations humaines et la professionnalisation. Les étudiants y étudient l’histoire de l’art, du design, des idées politiques, la culture des sciences, l’écriture, des modes de représentation (maquette, illustration, typographie, sketch, Photoshop, 2D 3D, 4D, mindmapping, storyboarding, facilitation graphique…). L’un des piliers est l’enseignement des sciences humaines et sociales qui représentent 280h de formation sur cinq ans. En allant sur le terrain, les étudiants réalisent vingt projets en cinq ans avec des entreprises et des collectivités. Quarante-deux projets ont été réalisés lors de la première année d’existence de l’école, par des étudiants de première année et de quatrième année. A l’aide d’outils méthodologiques, ils étudient la gestion de projet et le management interculturel. 150 heures sur les deux dernières années sont dédiées à la compréhension du fonctionnement d’une entreprise. La formation prévoit également des coachings personnalisés.
Un espace est-il dédié à la professionnalisation au sein de CY école de Design ?
D.S : Nous avons créé un atelier de fabrication, l’Open Design Lab, que la Région Île-de-France co-finance à hauteur de 30% des investissements. Nous avons investi entre 800 000 et 1 million d’euros dans cette espace. L’Open Design Lab comprend 400m2 avec un espace maquette et un espace machines. L’idée est d’en faire non seulement un espace d’expérimentation pour les étudiants qui pourront matérialiser leurs idées, mais aussi pour les entreprises qui pourront accéder à ces ressources, à ces équipements. Les entreprises pourront aussi profiter des opportunités de collaboration avec l’école et ses étudiants pour matérialiser leur projet.
Si une partie de l’enseignement est dédiée à la professionnalisation, tous les enseignements sont professionnalisants : les enseignants sont tous des professionnels. Le rapport au réel est déterminant. Les étudiants sont de plus coachés individuellement par des coachs professionnels durant toute leur scolarité.
CY école de Design va lancer son réseau de Design Social Labs dès 2023 : quel est le concept ? comment se déroule la formation ?
D.S : Les Design Social Labs sont liés à CY Alliance, un ensemble d’école, autour de CY Cergy Paris Université et ‘ESSEC, qui forme un kaléidoscope disciplinaire qui appelle à la collaboration. En cours de montage, ils ont été créés dans le cadre de la réponse au PIA 4, CY Générations, qui comprend une part de financement pour les Design Social Labs.
Concrètement, un Social Design Lab réunit des étudiants de CY Alliance issus de disciplines différentes. Nous leur confions des missions d’innovation sociale pendant un semestre, en résidence. Leur rôle est également de trouver des problématiques non identifiées en plus d’une commande explicite de la collectivité, et travailler à les résoudre, par exemple dans des tiers-lieux. L’idée est de créer un réseau de lieux d’innovation existants.
L’idée est de partir des tiers-lieux de l’université, des FabLabs partenaires (Cergy, Sarcelles, Gennevilliers, Saint-Germain-en-Laye), pour en faire des lieux d’innovation sociale, en lien avec les collectivités. Notre première implantation devrait se déployer en 2023 à l’atelier LabBoîte à Cergy.
Les Design Social Labs sont des moteurs de l’innovation sociale : les collectivités territoriales sont pour nous les prochaines destinations des designers. Les missions, l’esprit du design et des collectivités se rejoignent : leur mission n’est-elle pas aussi de créer des conditions d’expériences de vies réussies pour tous et chacun, ce qui est notre définition du design ?
Pourquoi cette formation a-t-elle vu le jour ?
D.S : Les Design Social Labs sont nés de plusieurs besoins : donner aux étudiants, quelle que soit leur discipline, la possibilité d’avoir une expérience pluridisciplinaire, apprendre à ces futurs professionnels à travailler avec des gens issus d’autres disciplines. C’est aussi un espace d’évangélisation, de démonstration à destination des collectivités : ces actions sont ancrées sur le terrain. L’objectif est aussi de participer à l’acculturation des collectivités sur le design, montrer par ce biais que nous pouvons faire autrement : c’est tout l’objet du design des politiques publiques. De plus, les Design Social Labs contribuent à la création et à la pérennisation de liens entre tous les acteurs du terrain, sur le même projet, par des objectifs de formation et d’innovation sociale.
Nous parlons souvent du design des politiques publiques, qui peut être difficile à définir. Quelle serait la définition la plus claire selon vous ?
D.S : Si on reprend notre définition du design (Le design est une culture du projet dont les acteurs contribuent à créer des conditions d’expériences de vie réussies), le design des politiques publiques s’attache exactement à cela pour les habitants du territoire ! C’est donc un pléonasme. Il se trouve que les expériences de vie auxquelles nous nous intéressons ici ne sont pas les mêmes que pour l’industrie par exemple. La nature du destinataire est différente : l’expérience des territoires concerne absolument tout le monde, personne n’est exclu. La collectivité s’intéresse à tout le monde dans toutes les dimensions de la vie. Mobilité, santé, culture, socialisation, alimentation : chacun, comme chaque catégorie d’habitants du territoire, doit pouvoir bénéficier des meilleures conditions d’expérience au quotidien. Il faut donc d’abord et essentiellement faire du design ici, c’est à dire partir de l’observation et de la compréhension des situations de vie des gens pour co-imaginer de manière systémique et collaborative les réponses à déployer afin de satisfaire au mieux ces besoins. L’implication de tous les protagonistes (élus, agents territoriaux et population) est absolument nécessaire.
Quels sont les principaux objectifs du Design Social Lab ? Pourquoi intégrer des designers dans les collectivités ?
D.S : Il faut des designers au sein des Design Social Labs, mais pas seulement. L’objectif principal est de montrer que l’on peut faire autrement que ce que l’on fait jusqu’à présent, en associant les agents territoriaux, les élus, les entreprises partenaires au travers des projets. L’objectif est également pédagogique : nous formons des étudiants.
Qu’est-ce que le design des politiques publiques peut apporter au développement du territoire, et particulièrement au développement économique du territoire ?
D.S : Nous sommes plutôt dans l’acculturation et la démonstration. La Région Île-de-France, pionnière en la matière, a commencé à mener une nouvelle politique économique à ce sujet avec le Conseil Stratégique du design ainsi que les décisions d’intégrer à tous les appels d’offres une dimension design. La région a également une mission impérative : celle d’induire une culture du design chez les acteurs économiques en les aidant à diagnostiquer leurs besoins, à travailler avec des designers, en aidant les écoles à former des professionnels.
En étant partenaire de France Design Week, ce grand festival de promotion du design partout en France, la Région soutient le design et son importance dans la création de valeur(s), de liens. Par valeur(s), j’entends autant la valeur marchande que la valeur sociale. Il est en effet de la responsabilité de la Région que d’aider au développement économique autant que d’assurer la cohésion, si ce n’est une forme de justice sociale en fournissant des services de qualités (comme les lycées ou la mobilité par exemple). C’est là que le travail d’évangélisation, de mise en avant du design par la Région intervient. Concernant le développement du territoire, confier un projet à une école de design, créer des démonstrations locales à moindre coût montre que l’on peut faire autrement, ainsi que diversifier les profils des utilisateurs, recruter des stagiaires et alternants pour apporter une culture au sein de la collectivité et enfin, embaucher des designers, former au design pour que les agents et élus soient porteurs de cette culture.
Il y a alors une nécessité absolue pour les collectivités d’intégrer le design dans leur politique. L’échelle des territoires est la plus pertinente : c’est là que les gens vivent et où se trouve leur source de bien-être. Le territoire est le premier lieu du design, un « living lab ». Une forme d’exemplarité doit y être déployée qui servira la cause du design, et des gens.
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[Interview réalisée en juillet 2022]