Jonathan Denuit
Dans le cadre de France Design Week 2022, une série d’interviews a été réalisée sur le Hub du design afin de mettre en lumière un champ du design : le design des politiques publiques. Face à de nouveaux enjeux de société et l’importance d’y trouver des solutions, nous vous invitons à découvrir plusieurs acteurs du design des politiques publiques qui ont pour vocation d’améliorer nos vies quotidiennes sur le long terme à partir d’un travail au sein d’une collectivité, d’une école ou encore d’une association.
Jonathan Denuit est le délégué général de l’association Design Actions Publiques (DAP), anciennement connue sous le nom du SAS (Strate Action Sociale). Il est responsable de la formation, et également enseignant de la méthode de design à Strate Ecole de Design. Diplômé en design, en paysagisme et architecture d’intérieur, il est aussi conseiller municipal d’une ville des Hauts-de-Seine.
Quel est votre vision du design ? Comment définiriez-vous le design des politiques publiques ?
Jonathan Denuit : Le design doit permettre de transformer et d’améliorer l’habitabilité du monde, de la société. Le design des politiques publiques se différencie en s’intéressant à un seul bénéficiaire : les citoyens et les citoyennes. Nous nous adressons à eux en tant que citoyens, et pas en tant que consommateurs ou usagers. Nous travaillons uniquement pour l’intérêt général, pour la société.
Design Actions Publiques, la formation dont vous êtes responsable, permet de mener des projets d’innovation sociale par le design. Pourquoi cette formation a-t-elle vu le jour ?
J.D : Design Actions Publiques est née d’une idée à Strate, Ecole de design. La maquette pédagogique y a été dessinée. Cette formation a débuté en 2021 sous le nom du SAS, Strate Action Sociale, qui est devenu Design Actions Publiques. L’objectif principal du programme étant de servir l’intérêt général par l’innovation sociale, nous avons souhaité que cette formation obtienne un statut juridique associatif. La formation Design Actions Publiques permet de monter en compétences sur la conception de projets d’innovation sociale. Elle fonctionne uniquement en partenariat avec des collectivités territoriales et des institutions publiques. Ces collectivités mettent alors à disposition un espace pour apprendre cette méthode en théorie et en pratique, directement sur les lieux, in-situ, dans la municipalité, le département, la région etc.
Aussi, les apprenants peuvent appliquer la théorie, la méthode de design - qui est la colonne vertébrale du programme – sur des projets concrets, en relation avec les élus, les agents des collectivités et les citoyens. Les collectivités proposent deux à quatre thèmes, issus des problématiques du territoire, qui donnent lieu à des projets.
En quoi consistent les périodes de formation ? Quels enseignements sont dispensés ?
J.D : La méthode de design, élément principal de la formation, est découpée en neuf phases : l’observation, la synthèse analytique, la problématisation, les scénarios d’usage, l’idéation, la formalisation, le prototypage, la poétique de l’objet et la présentation orale. La partie théorique est succédée par une partie pratique l’après-midi ou les jours suivants. Nous apprenons également la dimension de l’administration publique : des intervenants, généralement des agents territoriaux mais aussi des élus ou des professeurs, enseignent les bases du fonctionnement des territoires, de leur organisation à leur gouvernance.
Cette formation a été créée car les designers s’intéressent de plus en plus à résoudre des problèmes d’intérêt général, mais ils n’ont pas toujours les connaissances ni les compétences leur permettant de travailler sur des projets de politiques publiques. La partie théorique leur permet de s'approprier les différents outils du designer afin qu'ils puissent les adapter dans leurs futurs projets d'innovation. La partie pratique comprend des exercices d’observation terrain.
Depuis septembre 2021, la Région Île-de-France accueille des promotions d’étudiants de la formation. Pourquoi les collectivités sont-elles un terrain propice au déploiement de cette formation ?
J.D : La Région Île-de-France a en effet été la première collectivité territoriale à nous faire confiance, et à renouveler l’accueil d’étudiants pour la troisième fois dès septembre 2022. Il y a de plus en plus de problématiques sociétales difficiles à résoudre. Dans les pouvoirs publics comme dans l’administration publique, il n’y a pas encore ce réflexe de vouloir résoudre un problème par des expérimentations. Cela passe plutôt par un travail de communication. Le design, grâce à son approche sensible du terrain, sa capacité à problématiser et sa créativité, permet de dessiner avec tous les acteurs de la cité des propositions innovantes dans le domaine public.
Huit sujets ont été traités au sein de la Région Île-de-France depuis septembre 2021 : l’entrepreneuriat féminin, la biodiversité dans les îles de loisirs, la transition écologique des entreprises, le processus de désignation des logements sociaux pour les salariés de la Région Île-de-France, l’amélioration des outils de pilotage développés pour l’évaluation en continu des politiques publiques régionales, la fracture entre le siège et les agents des lycées, le lissage des heures de pointe et la co-construction citoyenne et usagère.
Quels projets ont été les plus marquants pour vous ?
J.D : Le projet « De Main En Main » mené par Nancy Lai, Sarah Garcia et Antoine Zybura en réponse au brief « Réduire la fracture entre le siège et les agents des lycées » m’a particulièrement marqué. Ils ont véritablement joué le rôle du designer et ont requestionné la problématique pour s’assurer d’avoir la bonne base de réflexion. Ils n’ont pas hésité à partir sur un chemin différent qui permet de résoudre le problème initial, et ont pensé à des ateliers de transmission de savoir-faire des agents (chef de cuisine, agent de lingerie, de restauration...) pour former les lycéens à l’autonomie et à l’éco-civisme. Leur projet a réussi à transformer et améliorer le programme pédagogique de l’Éducation nationale qui concerne les lycées parce qu'il prépare davantage les lycéens dans leur autonomie et forme véritablement aux gestes éco-responsables. Il valorise les agents techniciens de la collectivité d'Île-de-France en les positionnant dans le champ pédagogique de l’établissement scolaire.
Le second projet que je souhaite évoquer est « Exploire ». Le brief initial, « La transition écologique des entreprises », incitait à se servir du Paris Region Business Club qui réunit les entreprises labellisées par la Région Île-de-France. Isabel Yus, Rémi Constantin et Julien Relano ont remis en question la dimension numérique qui est rédhibitoire pour beaucoup d’entreprises par manque de temps et de motivation. Le groupe a réussi à créer une relation entre les entreprises qui ont déjà mis en place des initiatives écologiques pour les partager. Ils ont humanisé un service pour accompagner davantage et de manière plus qualitative la transition écologique des entreprises.
Soutenance de la seconde promotion de Design Actions Publiques le 24 juin 2022, Hémicycle du Conseil régional d’Île-de-France
Quel est le rôle des étudiants de Design Actions Publiques au sein de la Région Île-de-France ?
J.D : Les étudiants designers sont des agents de liaison. Dans un écosystème composé de nombreux acteurs : élus, citoyens, associations, commerces… Le design n’est pas au centre, mais fait des allers-retours entre toutes ces entités. Il va créer des nouveaux liens qui n’existaient pas avec les agents, créer du lien entre la Région Île-de-France et les franciliens dans sa dimension sensible, émotionnelle.
Quels sont les principaux objectifs de la formation ? Vers quels métiers se prédestinent les étudiants diplômés ?
J.D : Deux profils principaux se dégagent des étudiants : des designers et des non-designers. Les designers vont monter en compétences sur la partie administration publique pour ensuite potentiellement intégrer une association, une collectivité ou une entreprise. Les non-designers, eux, recherchent la méthode de design en plus des connaissances sur l’administration publique, pour être capable par la suite de prendre la responsabilité dans un pôle d’innovation sociale, par exemple.
Concernant le futur des projets d’étudiants, quelle suite peut leur être donnée ? Des actions concrètes ont-elles été mises en place après leur présentation ?
J.D : La passation de projets entre ce qui s’est produit via Design Actions Publiques et ce qui va rester dans la collectivité est en cours d’étude. Tous les apprenants ont automatiquement une propriété intellectuelle sur ce qu’ils produisent. Cependant, ils donnent leur accord pour que les projets soient partagés et exploités. Les projets sont alors exploitables en Open source par tous les territoires. Ils seront accessibles via un site Internet qui réunira les projets comme ressources pour les collectivités.
Je peux notamment mentionner le groupe de co-développement sur le sujet de la transition écologique initié par Région Île-de-France comme suite du projet « Transition écologique des entreprises ». Nous savons que certains projets peuvent être expérimentés, mais à mon sens, il manque encore des acteurs dans cet écosystème capables de faire levier pour transformer une proposition en une expérimentation. Nous travaillons sur l'intégration de ses acteurs pour qu'ils soient véritablement partie prenante dès le lancement du sujet.
Quel est l’avenir de Design Actions Publiques ?
J.D : L’ambition de Design Actions Publiques est de créer des partenariats avec des écoles (de design, d’ingénieur, d’architecture, de sciences politiques…) pour développer un maximum de DAP dans des collectivités, sur les territoires. DAP a pour ambition de fédérer des institutions publiques et des écoles. Les subventions des collectivités ne sont pas obligatoires : nous voulons pouvoir intégrer un DAP dans une région comme dans une ville de 350 habitants. La formation DAP est en cours de partenariat avec le département de Seine-Saint-Denis et la ville de Lyon. N’hésitez pas à rejoindre l’aventure Design Actions Publiques : beaucoup d’apprenants et d’apprenantes souhaitent avoir un emploi qui a du sens. La dimension de l’action de la formation permet de servir l’intérêt général de manière visible.
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[Interview réalisée en août 2022]